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El Loco : Marcelo Bielsa

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Dans un football professionnel de plus en plus dominé par l'efficacité froide, la rentabilité sportive et la flexibilité stratégique, Marcelo Bielsa fait figure d’exception radicale. À contre-courant des normes dominantes, l'entraîneur argentin impose depuis plus de trois décennies une vision du jeu intransigeante, généreuse et profondément éthique. Surnommé El Loco, non pas pour une quelconque extravagance gratuite, mais pour la rigueur presque monastique avec laquelle il conçoit le football, Bielsa incarne une approche où la manière de jouer prévaut sur le résultat brut.

Bien que son palmarès reste relativement modeste comparé aux standards des grandes figures européennes — un titre argentin avec Newell’s Old Boys, une médaille d’or olympique avec l’Argentine en 2004, un championnat de D2 anglaise avec Leeds United — son influence intellectuelle est immense. Elle se mesure à travers l’admiration que lui vouent certains des meilleurs techniciens contemporains, de Pep Guardiola à Mauricio Pochettino, mais aussi par le rayonnement de ses principes dans les centres de formation et les écoles d'entraîneurs à travers le monde.

L’ambition de cet article est d’explorer la vision footballistique de Marcelo Bielsa dans toute sa complexité : ses principes fondamentaux, ses choix tactiques, son rapport à l'entraînement, ses contradictions, mais aussi son impact structurel sur la culture du football contemporain. Il s’agira de démontrer comment le football total et l’intensité permanente, chez Bielsa, ne sont pas de simples choix esthétiques ou tactiques, mais relèvent d’une véritable philosophie morale du sport collectif.

I. Une philosophie : dominer le jeu, pas l’adversaire

Au cœur de la pensée bielsiste, il y a cette conviction que le football n’est pas un jeu d’opposition mais un jeu d’initiative. Jouer, pour lui, signifie proposer, imposer, occuper l’espace, créer, courir pour le collectif. Cette volonté de protagonisme s’oppose frontalement à une culture du résultat centrée sur l’adaptation passive, la réaction et le refus de jeu. Lors d’une conférence de presse donnée à Leeds en 2019, Bielsa résume :

« Je valorise le protagonisme plus que la spéculation. Je préfère jouer dans le camp adverse plutôt que dans notre moitié de terrain. J’accepte le danger que cela implique ».

Ce positionnement n’est pas qu’une posture tactique. Il découle d’une conception profondément éthique du rôle de l’entraîneur et de l’équipe dans l'espace social du football. En 1990, alors qu’il prend les rênes de Newell’s Old Boys, Bielsa justifie ses choix devant les supporters par un discours devenu emblématique :

« Je veux que vous soyez fiers de voir jouer votre équipe, même dans la défaite. Parce que ce que nous cherchons, c’est une idée, une manière de représenter ce club, pas seulement de gagner ».

Ce discours de responsabilité envers le public traverse l’ensemble de sa carrière. Il revendique une forme d’engagement moral envers les spectateurs : selon lui, ceux qui remplissent les tribunes ont droit à un football généreux, à des joueurs qui prennent des risques, qui attaquent, qui se dépensent sans compter. Comme l’a noté l’analyste Pierre Michel dans Le Jeu selon Bielsa (2019), il ne s’agit pas d’une idéologie naïve, mais d’un refus de céder au cynisme du football-business. Le jeu doit rester une forme de don : à ses joueurs, à ses supporters, au jeu lui-même.

C’est pourquoi Bielsa ne conçoit pas la victoire comme un objectif isolé, mais comme la conséquence logique d’une domination fondée sur le jeu. Là où certains entraîneurs cherchent à neutraliser l’adversaire, lui cherche à l’absorber dans une dynamique de jeu constante. Cette philosophie le place dans la filiation intellectuelle de César Luis Menotti, qu’il considère comme l’une de ses grandes influences : le football y est vu comme un espace de culture, d’engagement social et de beauté collective. À l’inverse de son contemporain Carlos Bilardo (tenant d’un football plus réaliste, centré sur le résultat), Bielsa reste fidèle à une tradition de jeu positif, en dépit des aléas du calendrier ou des oppositions tactiques.

Cette pensée du jeu en tant que forme d’expression offensive et collective se nourrit également de références européennes, notamment le football total néerlandais des années 1970, qu’il admire profondément. Comme Johan Cruyff avant lui, Bielsa considère que chaque joueur doit pouvoir participer à toutes les phases du jeu, défendre et attaquer, presser et construire. Ce qui importe, ce n’est pas la fonction individuelle, mais la mobilité collective. L’espace doit être constamment occupé, les lignes toujours actives. Il y a là une exigence de mouvement et d’intensité permanente, mais aussi une logique presque géométrique du placement sur le terrain.

Bielsa, en somme, ne pense pas le football comme une lutte, mais comme une œuvre collective de domination créative. Il ne cherche pas à déjouer l’adversaire par la ruse, mais à l’écraser par la cohérence et la densité du jeu proposé. Cela le rend fascinant pour certains, dogmatique pour d’autres. Mais tous reconnaissent chez lui une chose rare : une pensée du football qui résiste à la compromission, et qui cherche à faire du jeu une finalité en soi.

II. Les quatre piliers de son jeu

II.a) La possession constructive

Chez Marcelo Bielsa, la possession du ballon n’est jamais une fin en soi. Elle est un outil méthodique de domination spatiale, un moyen de forcer l’adversaire à se désorganiser. Contrairement à l’idée d’un “tiki-taka” contemplatif ou défensif, la possession selon Bielsa est active, dynamique, verticale dans l’intention.

Il affirme lui-même :

« Nous ne cherchons pas la possession pour conserver le ballon, mais pour l’utiliser. La possession doit créer des espaces, pas des temps morts » (Bielsa, conférence de presse, Marseille, 2014).

Ce que Bielsa exige de ses joueurs, ce n’est donc pas de monopoliser stérilement le ballon, mais de construire des séquences cohérentes, basées sur des circuits de passes répétés à l’entraînement, pour progresser ligne par ligne. Le ballon circule avec peu de touches, souvent en triangle, en recherchant en permanence le “troisième homme” libre.

Comme le souligne l’analyste Florent Toniutti,

« La structure de Bielsa est d’abord là pour générer des relations préférentielles entre les joueurs et permettre au ballon de voyager avec une intention claire » (Chroniques Tactiques, 2015).
La possession n’est efficace que si elle amène à une rupture.

II.b) La verticalité contrôlée

La progression verticale fait partie intégrante du style bielsiste. Dès que la structure adverse est déséquilibrée, l’objectif est de transpercer le bloc, en quelques passes, souvent via les couloirs. Les équipes de Bielsa utilisent massivement la largeur du terrain : les ailiers “collent” à la ligne, tandis que les latéraux viennent déborder ou combiner à l’intérieur, créant un effet d’étirement horizontal.

Cette largeur n’a qu’un but : ouvrir une diagonale verticale exploitable. À l’OM (2014-2015), par exemple, le latéral gauche Benjamin Mendy recevait de longues passes croisées venues du milieu droit pour accélérer vers l’avant dès que l’adversaire coulissait mal. Ces changements de rythme sont centraux chez Bielsa : le ballon circule à deux vitesses, lente en phase d’attente, puis rapide en phase de pénétration.

Bielsa l’a lui-même dit :

« Le jeu doit être vertical, mais seulement quand les conditions le permettent. Il ne s'agit pas de précipitation, mais de lecture et de moment » (interview à La Nación, 2012).

II.c) Le pressing tout-terrain et le marquage individuel

C’est peut-être l’élément le plus célèbre — et le plus clivant — de sa philosophie : un pressing total, généralisé, intense, couplé à un marquage individuel sur tout le terrain. Chez Bielsa, chaque joueur est responsable d’un adversaire direct. Cette approche, rare à ce niveau, implique une exigence physique et mentale permanente.

Lorsqu’un joueur perd son duel, c’est tout le système qui est menacé. Pourtant, Bielsa y voit une forme de clarté :

« Le marquage individuel est plus simple. Il y a moins d’ambiguïtés, plus de responsabilités » (Bielsa, séminaire d’entraîneurs à Rosario, 2011).

C’est aussi un moyen de maintenir une pression constante : aucun adversaire ne respire, aucun ballon n’est tranquille. À l’Athletic Bilbao, cela a donné lieu à des matchs d'une intensité rare, comme ce 3-2 face au Sporting Portugal en 2012, où les Basques n’ont jamais laissé les Portugais sortir proprement.

Comme l’explique Raphaël Cosmidis :

« Le pressing de Bielsa est à la fois brutal et méthodique, c’est une stratégie de suffocation organisée » (So Foot, 2016).

II.d) L’intensité physique et mentale

L’intensité n’est pas un effet secondaire chez Bielsa. Elle est une condition de son football. Sans courses, sans engagement total, sans obsession de la répétition, son système s’effondre. C’est pourquoi ses entraînements sont réputés pour leur extrême rigueur.

À Leeds, ses joueurs parlaient du fameux “murderball”, un exercice sans arrêt, où l’on joue à haute intensité sans règles d’interruption : pas de touches, pas de fautes sifflées, juste du jeu continu.
L’objectif ? Habituer les corps — et les esprits — à l’exigence du match. Comme l’a résumé Kalvin Phillips :

« Avec lui, il faut être au top physiquement, sinon tu ne survis pas » (interview Sky Sports, 2020).

Mais cette intensité est aussi mentale : la répétition des circuits, la responsabilisation des joueurs, la concentration requise pour respecter le marquage individuel… Tout cela forme une culture de l’effort constant.

III. Mise en œuvre tactique et choix des systèmes

Contrairement à certains techniciens qui appliquent toujours le même schéma, Bielsa adapte ses structures à ses effectifs — sans jamais renier ses principes. Il ne change pas son idée du football, mais modifie les formes qui la servent.

III.a) Le 3-3-1-3 : le système signature

Considéré comme la matrice bielsiste, le 3-3-1-3 est un système conçu pour occuper le terrain de manière rationnelle et favoriser les triangles de passes. Trois défenseurs (dont un central libre), trois milieux en ligne (latéraux ou centraux selon la situation), un meneur (le “1”) et trois attaquants très écartés.

« Ce système me permet de presser, d’élargir le jeu, et d’avoir toujours un joueur libre pour relancer proprement » (Bielsa, entretien à Clarín, 2004).

Le 3-3-1-3 a été vu au Chili, à Bilbao, parfois avec Leeds. Il demande des joueurs très mobiles, capables de défendre en avançant et d’assurer la couverture. C’est un système exigeant mais d’une logique interne impressionnante.

III.b) Le 4-1-4-1 et les variations

À Marseille ou à Leeds, Bielsa a souvent opté pour un 4-1-4-1, parfois modulable en 4-2-3-1 ou 3-4-3 selon les phases. L’important n’est pas le chiffre, mais la structure des relations entre joueurs, et la logique :

  • un milieu pivot en sentinelle (Luiz Gustavo, Kalvin Phillips)

  • deux relayeurs disponibles

  • des ailiers larges pour ouvrir le jeu

  • un avant-centre capable de remiser et d’attaquer la profondeur

Il utilise souvent un “faux 10” : un milieu offensif qui ne crée pas par la passe, mais par le pressing, la course, la présence entre les lignes.

III.c) Exemples concrets

  • Athletic Bilbao vs Manchester United (2012) : l’un des sommets du style Bielsa. À Old Trafford, ses hommes pressent les Red Devils jusque dans leur surface. Le pressing haut, le surnombre sur les côtés, et la verticalité dans les transitions déstabilisent l’équipe de Ferguson. Victoire 3-2 à l’aller, 2-1 au retour.

  • Leeds vs Manchester City (2020) : face à Guardiola, Bielsa tient tête avec des moyens modestes. Leeds court plus, attaque plus, et arrache un match nul spectaculaire (1-1) malgré 38 % de possession. Le pressing est ciblé, les attaques tranchantes.

Ces matchs illustrent une chose : la cohérence interne du jeu de Bielsa, même contre des adversaires mieux armés.

IV. L’école Bielsa : transmission et influence

Marcelo Bielsa n’est pas seulement un entraîneur : il est un formateur de formateurs, une figure tutélaire pour toute une génération de techniciens.
Son influence dépasse largement les clubs qu’il a dirigés.

IV.a) Une filiation directe

  • Pep Guardiola a visité Bielsa à Rosario en 2006, avant de prendre l’équipe B du Barça. Il dira plus tard :

« Il m’a appris que tu peux gagner avec des idées différentes. Il rend les joueurs meilleurs. Pour moi, c’est le meilleur d’entre nous » (El País, 2012).

  • Mauricio Pochettino, Jorge Sampaoli, Diego Simeone, Gerardo Martino : tous ont été influencés par ses méthodes, que ce soit comme joueurs ou collègues. Plusieurs l’appellent “Maestro” ou “le Prophète”.

IV.b) Une vision exportée

Le bielsisme ne se résume pas à un style, mais à une manière d’entraîner, d’enseigner, de penser le football.
On retrouve sa trace dans :

  • la culture du jeu de position moderne

  • l’importance du pressing organisé

  • la place centrale du visionnage vidéo

  • la valorisation du travail tactique invisible

Comme le note Frédéric Hermel (RMC, 2020) :

« Il a rendu le pressing intelligent, il a fait de la répétition un outil créatif, il a montré qu’on pouvait perdre sans trahir ses idées, et gagner sans vendre son âme ».


V. Une méthode : rigueur, vidéo et répétition

Chez Bielsa, l’idée précède le système, et la méthode précède le geste. Son obsession de l’entraînement repose sur un triptyque simple mais redoutable : préparation, répétition, responsabilisation. Il ne laisse rien au hasard. Tout est pensé, planifié, préparé.

V.a) L’obsession du détail

L’un des aspects les plus documentés de la méthode Bielsa est son rapport quasi maniaque à la vidéo. On connaît l’anecdote célèbre : à la tête du Chili, il aurait analysé plus de 3000 heures de match pour préparer la Coupe du monde 2010, classant les séquences adverses dans des centaines de DVD (The Guardian, 2010). Son staff le suit dans cette rigueur obsessionnelle. À Leeds, il confesse :

« Avant chaque match, nous analysons 40 matchs de l’adversaire. J’essaie de tout voir, de tout comprendre. C’est la seule manière d’être loyal envers les joueurs » (conférence, 2019).

Cette approche culmine lors du fameux “Spygate” en 2019, lorsqu’il est accusé d’avoir envoyé un observateur espionner les entraînements de Derby County. Au lieu de nier, il organise une conférence de presse d’une heure pour… exposer toute sa méthode d’analyse, avec transparence, chiffres à l’appui. Le football anglais, d’abord outré, se découvre soudain admiratif. Gary Lineker résume alors :

« Il nous a donné une leçon sur ce que signifie vraiment “préparer un match” » (BBC Sport, 2019).

V.b) L’entraînement comme discipline tactique

L’entraînement bielsiste est purement fonctionnel : il n’y a pas d’exercice sans lien direct avec la structure du jeu. Pas de “mise en jambes”, de “rondes” ludiques — seulement des situations de match recréées, répétées, intensifiées. On travaille la sortie de balle automatisée, la reconquête immédiate, les déplacements sans ballon.

Comme le souligne le préparateur Diego Reyes (OM, 2015), les joueurs “travaillent par répétition mécanique pour intérioriser des circuits tactiques”. C’est un processus de conditionnement, à la frontière entre la science et l’art. Les joueurs parlent souvent de “fatigue cérébrale” : il faut réfléchir en courant, comprendre tout en répétant. La charge mentale est aussi élevée que la charge physique.

V.c) La responsabilisation des joueurs

Bielsa forme ses joueurs à devenir entraîneurs de leur propre jeu. Il leur demande de comprendre le système, pas simplement de l’exécuter. Il n’hésite pas à leur parler longuement après les séances, parfois individuellement, parfois en groupes. À l’OM, il reçoit individuellement les cadres pour leur montrer des séquences vidéo ciblées sur leurs déplacements. À Leeds, il va jusqu’à impliquer certains joueurs dans les briefs d’avant-match.

Comme le dit Gaëtan Laborde, qui l’a côtoyé à Marseille :

« Avec lui, tu apprends à voir le match autrement. Tu ne fais pas que jouer, tu lis ce qui se passe autour de toi. C’est un entraîneur qui éduque » (L’Équipe, 2020).

VI. Les paradoxes de Bielsa : grandeur éthique, limites stratégiques

Si la figure de Bielsa suscite autant de fascination, c’est aussi en raison de ses contradictions assumées. Il est à la fois inspirant et frustrant, radical et pragmatique, fidèle et vulnérable. Son œuvre footballistique est marquée par une tension constante entre l’idéal et le réel.

VI.a) Un style qui épuise

Le principal reproche fait à Bielsa est la durée de vie limitée de ses projets. Ses équipes démarrent souvent très fort, mais connaissent des essoufflements — physiques ou mentaux — sur la longueur. Leeds en 2021-2022 en est un exemple flagrant : après deux saisons de haute intensité, l’équipe s’effondre défensivement, concède des scores fleuves, et Bielsa est contraint de quitter le club à contrecœur.

Il en est parfaitement conscient. En 2018, il déclarait avec un sourire amer :

« Si les joueurs n’étaient pas humains, je ne perdrais jamais » (Sky Sports).

Cette lucidité n’atténue pas la rigueur de son style. Il ne cherche pas à "sauver l’équipe", mais à rester fidèle à sa méthode. Cela fait de lui un entraîneur profondément intransigeant avec lui-même, parfois au prix du résultat.

VI.b) Fidélité vs adaptabilité

Autre paradoxe : si Bielsa adapte ses schémas aux joueurs, il refuse d’adapter ses idées aux résultats. Il n’a jamais renié son football. Même lorsqu’il perd, il refuse d’opter pour un bloc bas, pour une gestion cynique du score. Il dit souvent :

« Je préfère perdre avec mes idées que gagner avec celles des autres » (cf. conférence LMA, 2016).

Cette posture le rend admirable pour certains, borné pour d’autres. Mais elle est cohérente dans son éthique. Il ne croit pas que le football soit un lieu de trahison : pour lui, jouer autrement que selon ses principes serait mensonger envers les joueurs et les supporters.

VI.c) L’exigence morale, moteur ou fardeau ?

Le dernier paradoxe est plus humain. Bielsa incarne une figure morale de l’entraîneur, presque stoïcienne. Il n’élève jamais la voix contre ses joueurs. Il prend toujours la responsabilité en cas d’échec. Il déteste les projecteurs, fuit les titres individuels, et considère le football comme un devoir envers ceux qui regardent.

Mais cette éthique est aussi un poids immense : elle l’empêche parfois de durer, de faire des compromis nécessaires au très haut niveau. Il est l’homme qui dit non aux raccourcis, quitte à ne jamais gravir les plus hauts sommets. Il est, comme l’a résumé le journaliste Diego Torres,

« le seul entraîneur moderne à avoir fait de la morale une tactique » (El País, 2014).

Conclusion

Marcelo Bielsa incarne une vision du football aussi rare qu’essentielle. Il nous rappelle que le football peut être une aventure intellectuelle, une quête morale, une œuvre collective au service d’une idée plus grande que le résultat. Son style intense, total, parfois extrême, n’est pas une coquetterie de puriste : c’est une manière de croire au jeu comme forme d’expression.

Ses équipes ne sont pas toujours les plus victorieuses, mais elles sont presque toujours les plus marquantes. Et ce n’est pas un hasard si ceux qu’il a formés — Guardiola, Pochettino, Sampaoli, Gallardo — occupent aujourd’hui les sommets : il n’a pas construit des équipes, mais des héritages.

Dans un football souvent obsédé par l’efficacité et la communication, Bielsa reste une anomalie magnifique. Il n’a pas seulement montré comment on peut jouer au football autrement. Il a surtout prouvé qu’il est possible, parfois, de gagner sans trahir — ni le jeu, ni soi-même.